26/02/2021
Canada – Québec

Myriophylle à épis : Une bataille sous-marine

Après 9 ans de lutte contre le myriophylle à épis, les stratégies et les efforts soutenus pour ralentir sa progression commencent à produire des résultats encourageants dans les lacs et les rivières du Québec, a constaté une équipe de La semaine verte.

Grâce à des techniques sous-marines plus performantes de bâchage et d'arrachage, les biologistes et plongeurs réussissent à ralentir la progression du myriophylle à épis. Le combat contre cette plante envahissante aquatique est toutefois semé d’embûches. Avec sa longue tige et ses feuilles en plumes, le myriophylle à épis semble bien inoffensif lorsqu’on l’observe sous l’eau. À une époque pas si lointaine, on le retrouvait même dans nos aquariums domestiques, où la végétation exotique servait de décoration. Cette plante vasculaire proviendrait d’Asie et aurait été introduite dans les milieux aquatiques canadiens par les vidanges de ballasts des navires et par les rejets d'eau d’aquariums domestiques. Ce qui la rend encore plus coriace, c'est qu’elle se reproduit très facilement et de manière fulgurante. En se fragmentant en boutures, le myriophylle va générer d’autres herbiers, qui vont rapidement envahir le fond des plans d’eau. "On ne l'éradiquera jamais. Donc on est pris avec cette espèce-là pour plusieurs décennies, pour ne pas dire plusieurs siècles", estime Claude Lavoie, biologiste et professeur à l’Université Laval qui observe et analyse le myriophylle à épis depuis près de 15 ans. Selon lui, aucune étude sérieuse n’a permis de démontrer une menace pour la santé humaine, toutefois son invasion devient un cauchemar pour les riverains et les plaisanciers habitués à profiter des plans d’eau. La présence du myriophylle à épis peut aussi entraîner une dévaluation de certaines propriétés aux abords de lacs ou de cours d’eau infestés par la plante exotique. Claude Lavoie rappelle que le myriophylle n’est pas juste un problème biologique, c'est un problème à la fois sociologique, économique et politique.

Pour ralentir la progression du myriophylle à épis, une des techniques utilisées est le bâchage avec des toiles synthétiques de type Aquascreen. Au lac des Abénaquis, en Beauce, les riverains ont opté pour cette solution, combinée avec de l’arrachage manuel muni d’un aspirateur sous-marin. En juin 2020, Vincent Gagné, étudiant en maîtrise, et son équipe ont installé 160 toiles sur l'ensemble des herbiers du lac. L’objectif de son projet de recherche est de réduire de 95 % les zones infestées. Mais c’est une bataille de longue haleine. À la fin de l’été, les toiles synthétiques sont retirées et nettoyées. Après quatre ans d’interventions, les résultats sont encourageants. On assiste à un recul des herbiers dans le lac. En 2016, la plante envahissante couvrait 36 000 mètres carrés au lac des Abénaquis ; à l’automne 2020, les zones infestées étaient réduites à 9 000 mètres carrés, soit le quart de ce qu’elles étaient quatre ans plus tôt.

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En Estrie, 50 % des lacs seraient touchés par le myriophylle à épis. Au lac Brompton, les superficies d'herbiers peuvent même dépasser les 10 000 mètres carrés. Les riverains et les trois municipalités concernées ont déboursé plus de 320 000 dollars en trois ans pour lutter contre la progression de l’envahisseur. Les différentes embarcations qui sillonnent les cours d’eau seraient les principaux responsables de la propagation du myriophylle d'un lac à l'autre si bien, qu’au Québec, ce sont près de 200 lacs qui sont envahis par le myriophylle à épis. Les polluants agricoles favorisent cette propagation en stimulant la croissance de la plante, précise Claude Lavoie. Ils viennent enrichir nos rivières et nos lacs en azote et en phosphore, ce qui va contribuer à amplifier le problème. L’envahisseur ne se limite pas aux lacs de villégiature. Il s’attaque aussi aux plans d’eau protégés, comme le lac Hertel, situé au cœur du mont Saint-Hilaire. La particularité du lac Hertel, c’est qu’il fait partie de la Réserve naturelle Gault de l'Université McGill, un sanctuaire reconnu par l'UNESCO. Depuis près de 50 ans, les activités aquatiques comme la baignade, la navigation ou la pêche sont interdites aux visiteurs. Malgré tout, le lac a lui aussi été envahi par le myriophylle à épis. La biologiste Hélène Godmaire travaille fréquemment avec les chercheurs de l’Université McGill, qui gèrent le lac Hertel et le milieu naturel qui l’entoure. En l’absence de fermes alentour et d’embarcations, la biologiste soupçonne les oiseaux migrateurs de transporter des fragments de myriophylle à épis. Cette dissémination par les oiseaux serait pourtant marginale par rapport à celle provoquée par les humains.

Le très documenté reportage de Claude Labbé et Pier Gagné, photos sous-marines de Pierre Mainville – Radio-Canada

 

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